Dévotion à Marie
Priez Marie pour la conversion des pécheurs,
pour l'Eglise
et pour les âmes du purgatoire
"Ayant confiance en vous, ô Mère de Dieu, je serai sauvé; ayant votre protection, je ne craindrai rien; avec votre secours, je combattrai et mettrai en fuite mes ennemis: car votre dévotion est une arme de salut que Dieu donne à ceux qu'il veut sauver." Saint Jean Damascène
En quoi consiste la dévotion à Marie
Dieu ne nous a point mis d'autre fondement de notre salut, de notre perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ: tout édifice qui n'est pas posé sur cette pierre ferme est fondé sur le sable mouvant et tombera infailliblement tôt ou tard. Tout fidèle qui n'est pas uni à lui comme une branche au cep de la vigne, tombera, séchera et ne sera propre qu'à être jeté au feu.
Si nous sommes en Jésus-Christ et Jésus-Christ en nous, nous n'avons point de damnation à craindre: ni les anges des cieux, ni les hommes de la terre, ni les démons des enfers, ni aucune autre créature ne nous peut nuire, parce qu'elle ne nous peut séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus- Christ. Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ, nous pouvons toutes choses: rendre tout honneur et toute gloire au Père, en l'unité du Saint-Esprit; nous rendre parfaits et être à notre prochain une bonne odeur de vie éternelle.
62. Si donc nous établissons la solide dévotion de la Très Sainte Vierge, ce n'est que pour établir plus parfaitement celle de Jésus-Christ, ce n'est que pour donner un moyen aisé et assuré pour trouver Jésus-Christ.
Si la dévotion à la Sainte Vierge éloignait de Jésus-Christ, il faudrait la rejeter comme une illusion du diable; mais tant s'en faut qu'au contraire, comme j'ai déjà fait voir et ferai voir encore ci-après: cette dévotion ne nous est nécessaire que pour trouver Jésus-Christ parfaitement et l'aimer tendrement et le servir fidèlement.
63. Je me tourne ici un moment vers vous, ô mon aimable Jésus, pour me plaidre amoureusement à votre divine Majesté de ce que la plupart des chrétiens, même des plus savants, ne savent pas la liaison nécessaire, qui est entre vous et votre sainte Mère. Vous êtes, Seigneur, toujours avec Marie, et Marie est toujours avec vous et ne peut être sans vous: autrement elle cesserait d'être de qu'elle est; elle est tellement transformée en vous par la grâce qu'elle ne vit plus, qu'elle n'est plus; c'est vous seul, mon Jésus, qui vivez et régnez en elle, plus parfaitement qu'en tous les anges et les bienheureux.
Ah! si on connaissait la gloire et l'amour que vous recevez en cette admirable créature, on aurait de vous et d'elle bien d'autres sentiments qu'on n'a pas. Elle [vous] est si intimement liée, qu'on séparerait plutôt la lumière du soleil, la chaleur du feu; je dis plus, on séparerait plutôt tous les anges et les saints de vous, que la divine Marie: parce qu'elle vous aime plus ardemment et vous glorifie plus parfaitement que toutes vos autres créatures ensemble.
64. Après cela, mon aimable Maître, n'est-ce pas une chose étonnante et pitoyable de voir l'ignorance et les ténèbres de tous les hommes d'ici-bas à l'égard de votre sainte Mère?
Je ne parle pas tant des idolâtres et païens, qui, ne vous connaissant pas, n'ont garde de la connaître; je ne parle même pas des hérétiques et des schismatiques, qui n'ont garde d'être dévôts à votre sainte Mère, s'étant séparés de vous et votre sainte Eglise; mais je parle des chrétiens catholiques, et même des docteurs parmi les catholiques, qui faisant profession d'enseigner aux autres les vérités, ne vous connaissent pas, ni votre sainte Mère, si ce n'est d'une manière spéculative, sèche, stérile et indifférente.
Ces messieurs ne parlent que rarement de votre sainte Mère et de la dévotion qu'on lui doit avoir parce qu'ils craignent, disent-ils, qu'on en abuse, qu'on ne vous fasse injure en honorant trop votre sainte Mère. S'ils voient ou entendent quelque dévot à la Sainte Vierge parler souvent de la dévotion à cette bonne Mère, d'une manière tendre, forte et persuasive, comme d'un moyen assuré sans illusion, d'un chemin court sans danger, d'une voie immaculée sans imperfections, et d'un secret merveilleux pour vous trouver et vous aimer parfaitement, ils se récrient contre lui, et lui donnent mille fausses raisons pour lui prouver qu'il ne faut pas tant parler de la Sainte Vierge, qu'il y a beaucoup d'abus en cette dévotion, et qu'il faut s'appliquer à les détruire, et à parler de vous plutôt qu'à porter les peuples à la dévotion à la Sainte Vierge qu'ils aiment déjà assez.
On les entend parfois parler de la dévotion à votre sainte Mère, non pas pour l'établir et la persuader, mais pour en détruire les abus qu'on en fait, tandis que ces messieurs sont sans piété et sans dévotion tendre pour vous, parce qu'ils n'en ont pas pour Marie, regardant le Rosaire, le Scapulaire, le Chapelet, comme des dévotions de femmelettes, propres aux ignorants, sans lesquels on peut se sauver; et s'il tombe en leurs mains quelque dévôt à la Sainte Vierge, qui récite son chapelet ou ait quelque autre pratique de dévotion envers elle, ils lui changeront bientôt l'esprit et le cœur: au lieu du chapelet, ils lui conseilleront de dire les sept psaumes; au lieu de la dévotion à la Sainte Vierge, ils lui conseilleront la dévotion à Jésus-Christ.
O mon aimable Jésus, ces gens ont-il votre esprit? Vous font-ils plaisir d'en agir de même? Est-ce vous plaire que de ne pas faire tous ses efforts pour plaire à votre Mère, de peur de vous déplaire? La dévotion à votre sainte Mère empêche-t-elle la vôtre? Est-ce qu'elle s'attribue l'honneur qu'on lui rend? Est-ce qu'elle fait bande à part? Est-elle une étrangère qui n'a aucune liaison avec vous? Est-ce se séparer ou s'éloigner de votre amour que de se donner à elle et de l'aimer?
78. ..Nos meilleures actions sont ordinairement souillées et corrompues par le mauvais fond qui est en nous. Quand on met de l'eau nette et claire dans un vaisseau qui sent mauvais, ou du vin dans une pipe dont le dedans est gâté par un autre vin qu'il y a eu dedans, l'eau claire et le bon vin en est gâté et prend aisément la mauvaise odeur.
De même, quand Dieu met dans le vaisseau de notre âme, gâté par le péché originel et actuel, ses grâces et rosées célestes ou le vin délicieux de son amour, ses dons sont ordinairement gâtés et souillés par le mauvais levain et le mauvais fond que le péché a laissé en nous; nos actions, même des vertus les plus sublimes, s'en sentent.
Il est donc d'une très grande importance, pour acquérir la perfection, qui ne s'acquiert que par l'union à Jésus-Christ, de nous vider de ce qu'il y a de mauvais en nous: autrement, Notre-Seigneur, qui est infiniment pur et qui hait infiniment la moindre souillure dans l'âme, nous rejettera de devant ses yeux et ne s'unira point à nous.
79. Pour nous vider de nous-mêmes, il faut, premièrement, bien connaître, par la lumière du Saint-Esprit, notre mauvais fond, notre incapacité à tout bien utile au salut, notre faiblesse en toutes choses, notre inconstance en tout temps, notre indignité de toute grâce, et notre iniquité en tout lieu. Le péché de notre premier père nous a tous presque entièrement gâtés, aigris, élevés et corrompus, comme le levain aigrit, élève et corrompt la pâte où il est mis.
Les péchés actuels que nous avons commis, soit mortels, soit véniels, quelque pardonnés qu'ils soient, ont augmenté notre concupiscence, notre faiblesse, notre inconstance et notre corruption, et ont laissé de mauvais restes dans notre âme.
Nos corps sont si corrompus, qu'ils sont appelés par le Saint-Esprit corps du péché, conçus dans le péché, nourris dans le péché et capable de tout, corps sujets à mille et mille maladies, qui se corrompent de jour en jour, et qui n'engendrent que de la gale, de la vermine et de la corruption.
Notre âme, unie à notre corps, est devenue si charnelle, qu'elle est appelée chair: Toute chair avait corrompu sa voie.
Nous n'avons pour partage que l'orgueil et l'aveuglement dans l'esprit, l'endurcissement dans le coeur, la faiblesse et l'inconstance dans l'âme, la concupiscence, les passions révoltées et les maladies dans le corps.
Nous sommes naturellement plus orgueilleux que des paons, plus attachés à la terre que des crapauds, plus vilains que des boucs, plus envieux que des serpents, plus gourmands que des cochons, plus colères que des tigres et plus paresseux que des tortues, plus faibles que des roseaux, et plus inconstants que des girouettes. Nous n'avons dans notre fond que le néant et le péché, et nous ne méritons que l'ire de Dieu et l'enfer éternel.
80. Après cela, faut-il s'étonner si Notre-Seigneur a dit que celui qui voulait le suivre devait renoncer à soi-même et haïr son âme; que celui qui aimerait sa vie la perdrait et que celui qui la haïrait la sauverait? Cette Sagesse infinie, qui ne donne pas des commandements sans raison, ne nous ordonne de nous haïr nous-mêmes que parce que nous sommes grandement dignes de haine: rien de si digne d'amour que Dieu, rien de si digne de haine que nous-mêmes.
81. Secondement, pour nous vider de nous-mêmes, il faut tous les jours mourir à nous-mêmes: c'est-à-dire qu'il faut renoncer aux opérations des puissances de notre âme et des sens du corps, qu'il faut voir comme si on ne voyait point, entendre comme si on n'entendait point, se servir des choses de ce monde comme si on ne s'en servait point, ce que saint Paul appelle mourir tous les jours: Quotidie morior! Si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeure terre et ne produit point de fruit qui soit bon.
Si nous ne mourons à nous-mêmes, et si nos dévotions les plus saintes ne nous portent à cette mort nécessaire et féconde, nous ne porterons point de fruit qui vaille, et nos dévotions nous deviendront inutiles, toutes nos justices seront souillées par notre amour-propre et notre propre volonté, ce qui fera que Dieu aura en abomination les plus grands sacrifices et les meilleures actions que nous puissions faire; et qu'à notre mort nous nous trouverons les mains vides de vertus et de mérites, et que nous n'aurons pas une étincelle du pur amour, qui n'est communiqué qu'aux âmes dont la vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
82. Troisièmement, il faut choisir parmi toutes les dévotions à la Très Sainte Vierge celle qui nous porte le plus à cette mort à nous-mêmes, comme étant la meilleure et la plus sanctifiante; car il ne faut pas croire que tout ce qui reluit soit or, que tout ce qui est doux soit miel, et que tout ce qui est aisé à faire et pratiqué du plus grand nombre soit le plus sanctifiant.
Comme il y a des secrets de nature pour faire en peu de temps, à peu de frais et avec facilité certaines opérations naturelles, de même il y a des secrets dans l'ordre de la grâce pour faire en peu de temps, avec douceur et facilité, des opérations surnaturelles: se vider de soi-même, se remplir de Dieu, et devenir parfait."
Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge